Le GECT comme la structure juridique portant une nouvelle dynamique dans la coopération transfrontalière.

A l’occasion de la formation préparée et organisée dans le cadre de CNFPT par Me Jean Paul MATTEI et Me Michal SOLINSKI, à AJACCIO le 26 et le 27 mars 2015 on vous propose de revenir sur l’évolution et développement du Groupement Européen de Coopération Territoriale. Les riches discussions avec la participation des acteurs du terrain et des porteurs des projets de coopération territoriale permettent d’observer un certain nombre des points importants et interrogations légitimes concernant l’utilisation de cet outil juridique.

Il serait impossible d’appréhender le GECT sans un bref rappel de l’histoire de la coopération transfrontalière. On pourrait rechercher les origines des actions ayant pour objectif de répondre à un besoin commun de plusieurs États frontaliers à travers de différentes époques de l’histoire européenne. Cependant, cette analyse serait très difficile et nécessiterait une explication complexe concernant les relations politiques de chaque époque. Pour cette raison, on pourrait commencer notre analyse par l’apport effectué par le Conseil de l’Europe. L’organisation qui est née après la Seconde Guerre mondiale, en 1949, ayant pour mission de faire cesser les conflits entre les territoires européens, mais également établir les liens permettant la discussion constante entre les territoires. Partant du principe que toute difficulté ne pourrait être résolue qu’à travers une discussion seine et sincère entre les partenaires, le Conseil de l’Europe a fortement encouragé la coopération transfrontalière.

Les expériences de la coopération transfrontalière démontrent constamment les difficultés juridiques auxquelles les porteurs de projets sont confrontés. Malgré l’absence des normes applicables et un espace juridique situé quelque part entre le droit national et international les nombreux projets ont pu voir le jour. Il s’agit « d’un espace buissonnant » (formulation selon Doyen Jean Dupuys ). Afin de créer un cadre de coopération qui garantit un minimum de sécurité juridique et facilite les échanges sans pour autant nier la souveraineté des États, le Conseil de l’Europe a été à l’initiative de la convention-cadre de Madrid (1980). Il s’agit d’un document qui a fondé un premier socle juridique de la coopération transfrontalière, bien que pour les États membres (47) il s’agit d’un dispositif incitatif et démarche volontaire et non pas un document directement applicable et opposable.

Par la suite on assiste à un développement dudit cadre juridique, puisque les protocoles additionnels de 1995, 1998 et 2009 ont vu le jour, permettant l’amélioration par les expériences du terrain ainsi que les réflexions apportées par la doctrine.

Alors que le Conseil de l’Europe se positionne en tant qu’acteur majeur dans le cadre de la coopération transfrontalière alors que la politique du développement interrégional notamment  soutenue par les fonds du programme INTERREG démontre l’intérêt de l’Union européenne concernant cette thématique. On assiste à une véritable « Jalta » entre les deux organisations, mais l’Union européenne dispose d’un avantage de taille – la possibilité d’instituer un dispositif ayant la force obligatoire (par le biais d’un règlement européen) et un encouragement par le biais des fonds européens. La première tentative de l’Union européenne de proposer un dispositif juridique concernant la coopération transfrontalière est le GEIE (groupement européen d’intérêt économique) issu du règlement 2037/85, mais cette structure, donc les missions ont été trop délimitées n’ pas connu un développement ni application à la hauteur des espérances. La création du GECT, qui dispose d’une adaptabilité beaucoup plus grande, pourrait être considérée comme la rupture de cet état de fait dans les relations entre les deux organisations.

En effet, le règlement 1082/2006 propose un cadre juridique comportant la création d’une entité disposant de la personnalité juridique propre, un socle des règles souples concernant son organisation et fonctionnement ainsi que les missions, la possibilité de faire appel aux financements de l’Union européenne et de détermination d’un certain nombre des règles juridiques propres adaptées à la structure et ses missions.

Le point très important concerne la capacité du GECT à faire participer les membres issus des États tiers de l’Union européenne (dans les conditions qui ont été assouplies par le règlement 1302/2013 permettant notamment la participation des membres d’un État tiers si les membres issus de deux États de l’UE sont présents dans la structure). Le Conseil de l’Europe a réagi, par le 3ème protocole additionnel à la convention de Madrid (en 2009) qui a institué GEC (groupement européen de coopération), cette structure constitue la concurrence directe du GECT vu les nombreux points communs, elle peut être mise en place entre les membres issus de la communauté de 47 Etats, mais le dispositif doit être transposé dans le droit interne des Etats afin de garantir la sécurité juridique. Notons que la France a d’ores et déjà reconnu cette structure qui pourrait être appliquée comme l’alternative au GECT.

Notre attention devrait être également attirée par la gouvernance multiniveau. Contrairement à la vision française de la coopération transfrontalière qui implique exclusivement la participation des personnes du droit public, la vision européenne comprend l’engagement de toutes les parties prenantes intéressées à la coopération transfrontalière. La distinction entre l’Administration et les personnes privées se trouve quelque part effacée dans l’objectif de la synergie des efforts afin d’aboutir à une dynamique favorable au développement. Cette solution proposée exige un effort de la part de l’Administration qui peut se trouver dans des situations de gouvernance qui est proche des entreprises multinationales. En même temps, la gouvernance multiniveau permet un dialogue constructif entre une collectivité territoriale, un État étranger, une association ou encore un groupement d’intérêt public.

La question des compétences partagées dans le cadre du GECT est également d’une importance cruciale. Dans la pratique de la coopération transfrontalière, les différences au niveau du partage des compétences et décentralisation varient selon les États. Il arrive souvent qu’une compétence comme la protection de l’environnement, décentralisée en France, mais nationale et non déconcentrée en Italie, empêche la réalisation des projets communs, puisqu’une collectivité territoriale ne saurait avoir des relations diplomatiques directement avec un État tiers. Il en est de même concernant la protection de santé – centralisée en France, mais décentralisée en Espagne. Le GECT avec sa gouvernance multiniveau est un instrument innovateur permettant l’établissement de la coopération malgré cette différence. En conséquence l’ouverture des nouvelles possibilités et opportunités. Notons également que la multitude des acteurs qui peuvent entrer dans le structure est de nature à pouvoir cerner les parties prenantes afin d’optimiser la vision et l’action commune.

Bien que le GECT dispose de la possibilité de recevoir les compétences des membres étatiques, à l’heure actuelle on peut difficilement imaginer le transfert qui serait donc un véritable transfert des compétences vers une structure qui comprend des partenaires étrangers et donc une remise en question de la souveraineté nationale. Dans la pratique on observe plutôt la réalisation des objectifs de coordination de la politique commune (notamment PMIBB), cohérence du développement (notamment Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournais), encouragement des échanges, partage du savoir-faire (notamment Senza Confini) ou bien la création des services sur un territoire d’un accès difficile (Hôpital de Cerdagne). La structure de GECT permet de bénéficier des fonds européens dans le cadre de programmes INTERREG ou FEDER dans les chapitres concernant la coopération  décentralisée, mais il ne faut pas que ces structures deviennent uniquement les guichets pour faire entrer les fonds européens, puisque la dynamique de coopération serait alors stoppée et le véritable enjeu perdu de vue.

Le règlement 1302/2013 élargit les possibilités des missions et objectifs du GECT, permettant notamment la coopération dans le domaine de l’immatériel (sans un territoire concerné) et visant un développement commun. On pourrait tout à fait assister à un développement commun des centres de recherche ou des Universités membres des GECT dans l’avenir.

Malgré les nombreuses opportunités offertes par les GECT, il convient de soulever les interrogations légitimes des acteurs de terrain concernant le régime juridique applicable. En premier lieu le choix du  siège du GECT est porteur des conséquences importantes concernant son fonctionnement. Le droit interne est applicable concernant l’interprétation de la convention et des statuts ainsi que du règlement intérieur de la structure. En ce qui concerne la langue, en cas de choix de deux ou plusieurs langues, en cas de conflit dû à la nuance de traduction, ledit conflit pourrait être résolu en faveur de la traduction de la langue du siège. Sur ce point on notera la divergence entre les relations d’affaires internationales où une seule langue est utilisée afin de garantir la sécurité des échanges et leur efficacité, alors que du cadre du GECT on utilisera plusieurs langues (nationales, mais également régionales) sans doute pour les raisons politiques, mais les conséquences juridiques pourraient être surprenants et la lourdeur procédurale (nécessité constante des traductions).

Concernant l’étendue des engagements des membres, on peut aisément constater que les relations de coopération antérieure apportent l’expérience et la confiance nécessaire afin de mieux comprendre les engagements. Les GECT les plus dynamiques disposent dans leurs statuts les engagements chiffrés qui sont considérés comme les dépenses obligatoires des membres. La possibilité de l’audit et de contrôle renforce l’idée du sérieux de l’engagement et consentement éclairé des participants. L’absence de ces éléments constitue les premiers signes d’un engagement réduit des membres et pourrait se traduire par la paralysie rapide de la structure. On pourrait également s’interroger de la possibilité de sanction d’un membre qui ne respecte pas ses engagements, il conviendrait pour cela faire appel au droit interne applicable en espèce.

La mise en place du GECT exige la participation des représentants des États membres. Suivant les dispositions du règlement 1302/2013 l’Etat dispose du délai de six mois afin d’approuver la convention de création du GECT, à l’issue de ce délai un accord tacite est acquis (sauf pour l’Etat du siège du GECT). Les États peuvent être membres de la structure, mais cela n’est nullement une obligation. Notons également que seule la convention est contrôlée par l’État, les statuts et le règlement intérieur l’espace de liberté des membres dans le respect du règlement européen et les principes du droit applicable.

La gouvernance du GECT constitue un élément clé dans l’équilibre nécessaire au bon fonctionnement de la structure. Le règlement 1302/2013 exige la présence d’une assemblée ainsi qu’un directeur (ou président), une très large liberté est accordé afin de mener les négociations entre les partenaires et permettre l’émergence d’une structure adaptée aux besoins, missions et respectueuse de la représentation des partenaires. On notera deux dangers : d’une part une structure trop complexe (avec plusieurs organes facultatifs et partage des compétences strictes, double alternance et votes à l’unanimité ou majorité qualifiée des membres de l’assemblée) peut paralyser le fonctionnement du GECT, d’autre part l’insuffisance dans la désorption des procédures et pouvoir des institutions peut également être source des conflits.

Le GECT dispose d’une personnalité propre en conséquence d’un patrimoine propre (passif et actif) et d’un personnel. La question du statut du personnel est très importante, puisqu’elle soulève les interrogations sur la sécurité juridique de l’ensemble de la structure. En effet, le droit applicable pour le personnel n’est pas dépendant, uniquement, de la volonté du gestionnaire de la structure. La territorialité dans les relations de travail exige l’utilisation de pouvoir de police de travail selon le pays où le travail est effectué à titre principal. Ainsi les dispositions par lesquels l’ensemble du personnel est soumis au droit interne d’un État membre, sont à la fois sans portée réelle et constituent un obstacle convention pour le directeur ou son bureau afin de déterminer en cas pas cas le droit applicable en espèce. Le jeu vaut la chandelle parce que la responsabilité du directeur est directement engagée et il peut s’agit de la responsabilité pénale. Le GECT peut également se retrouver, dépendant de cas devant le Conseil de prud’hommes, le tribunal administratif ou bien une juridique étrangère. Ces éléments sont donc nécessaires à prendre en compte dans le cadre de la construction de la structure ainsi que de son fonctionnement.

Enfin le gouvernement français encourage le recours à l’expérimentation dans le cadre du GECT, il s’agit d’une possibilité parfaite afin d’utiliser ce dispositif pour établir les régimes ad hoc adaptés à la situation particulière. Par ailleurs, ces expériences qui sont toujours intéressantes portent les observations et conclusions d’autant plus qu’elles seront alimentées par deux ou plusieurs systèmes juridiques au départ. Est-ce qu’à l’avenir ces expériences aboutiront à la création d’un droit international administratif ?

Les expériences des GECT en place sont très riches et précieuses, on n’est certainement pas au bout d’une construction, mais dans l’espace « au milieu du gué » de la coopération transfrontalière et décentralisée. Les porteurs des projets sont les premiers à mettre en lumière des insuffisances, mais également les possibilités, pas forcément imaginés par les autorités de l’Union européenne ou bien des États membres. L’objectif est de permettre la réalisation des projets qui disposent d’une certaine logique du territoire, d’économie ou de la culture, mais n’ont pas été possibles à cause des frontières étatiques. Les porteurs de projets sont donc contraints de « garder un cap et naviguer à vue ».

Michal Solinski

Avocat

Règlement européen 1302/2013

Convention et statuts GECT PMIBB (FR)

Convention et statuts Hôpital de Cerdagne (FR)

Convention et statuts Eurométropole (FR)

Cartes GECT en Europe et en France (FR)